Ban Ki-moon ou la soumission de l’ONU à l’OTAN

Le Secrétaire général de l’ONU encense l’OTAN – en secret et en solo

von: Christoph Marischka | Veröffentlicht am: 6. Januar 2009

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À l’insu de la plupart des observateurs et ignorant des structures des Nations unies, le Secrétaire général de l’Organisation, M. Ban Ki-moon, a signé un accord avec l’OTAN dès le 23 septembre 2008. Apparemment peu fières de ce document d’une page, les Nations unies l’ont à ce jour gardé secret. Des fuites ont toutefois porté sa substance à la connaissance du public, déclenchant de vives critiques, en particulier à l’encontre du Secrétaire général.

« Le Secrétaire général des Nations Unies et le Secrétaire général de l’Organisation du Traité, se félicitant de plus d’une décennie de coopération entre l’ONU et l’OTAN à l’appui des travaux des Nations Unies dans le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde… » C’est par ces mots que débute la déclaration commune. Les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, tous trois membres permanents du Conseil de sécurité, auraient poussé Ban Ki-moon à signer le document. Quant à la Russie, elle aussi membre permanent dudit Conseil et seul ennemi dont l’OTAN puisse somme toute encore se prévaloir, elle a eu vent de l’accord en question avant sa signature et a pressé le Secrétaire général de s’expliquer. Elle n’a toutefois reçu que des réponses évasives.[1] Après la signature, Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères, a eu des propos critiques à l’encontre de M. Ban Ki-moon : « De tels accords ne devraient pas être signés avant d’avoir été portés à la connaissance de l’ensemble des États membres. Cela n’a pas été le cas en l’occurrence et cet accord a été signé en secret par les deux Secrétariats généraux. »[2] Alfred de Zayas, ancien secrétaire de la commission des droits de l’homme des Nations unies, a jugé pour sa part qu’il s’agissait à l’évidence « d’un affront à la Chine et à la Russie, ainsi qu’au bloc des États non alignés »,[3] ajoutant que le Secrétaire général avait outrepassé ses compétences et fait des Nations unies une organisation définitivement partisane. À ses yeux, c’est précisément cette partialité, dont l’ONU a déjà fait montre dans le passé, qui serait à l’origine, entre autres choses, de la mort en Iraq de nombreux collaborateurs de l’Organisation, « que les Iraquiens ont perçu – et perçoivent probablement encore – comme le bras impérialiste de l’OTAN. »[4]

Une alliance militaire dotée de la force de frappe nucléaire peut-elle être garante de la paix ?

La présidence de la Transnational Foundation for Peace and Future Research (TFF) a formulé une critique similaire et jugé qu’un tel accord compliquerait plus encore la distinction entre interventions de l’OTAN et opérations de l’ONU. En conférant ainsi à l’OTAN un « statut particulier », les Nations unies pourraient se voir à l’avenir dans l’impossibilité quasi complète de reprocher à l’Alliance, qui occupe trois des cinq sièges permanents au Conseil de sécurité, une quelconque violation du droit international. Par ailleurs, cette fondation qui défend la paix dans le monde se demande comment l’ONU pourra encore, après la conclusion d’un accord aussi étroit, défendre ses objectifs de désarmement global et d’élimination des armes nucléaires, dès lors que les États membres de l’OTAN prennent à leur compte 70 % des dépenses d’armement dans le monde et que cette organisation se réserve le droit de répondre par des frappes nucléaires à des attaques conventionnelles.
Qui plus est, l’accord entre ONU et OTAN aurait été conclu « d’égal à égal ». Rappelons toutefois que l’OTAN est une alliance militaire dotée de la force de frappe nucléaire, alors que l’ONU a pour objectif, d’après l’article 1er de sa Charte, de « maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin [de] réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations […] susceptibles de mener à une rupture de la paix. » La TFF dénonce en outre le moment choisi pour signer un tel accord, alors même que les États membres de l’OTAN sont actuellement « impliqués dans plusieurs conflits très délicats – y compris pour les membres du Conseil de sécurité », conflits au rang desquels figurent la crise géorgienne ou la détérioration de la situation en Afghanistan.[5]

Les Nations unies, nouveau véhicule des États-Unis

D’autres observateurs jugent par contre le moment « significatif » et y voient un lien avec les élections américaines. Selon eux, M. Obama souhaiterait lui aussi maintenir la prééminence de son pays sur la scène internationale, mais préférerait, plutôt que d’ignorer les Nations unies comme l’avait fait son prédécesseur George W. Bush, instrumentaliser l’Organisation. C’est ainsi que l’on trouve de nombreux « théoriciens de l’intervention humanitaire »[6] parmi les conseillers en politique étrangère du nouveau président. L’invocation du principe de « responsabilité de protéger » (Responsibility to Protect), mis en avant lors du Sommet organisé à l’occasion des 60 ans des Nations unies en vue d’en réformer les structures et explicitement visé dans la déclaration ONU-OTAN, est un grand pas accompli sur la voie d’une telle instrumentalisation. En énonçant cette « responsabilité » – qui oscille entre définition et norme de droit international –, certains États ont tenté de battre en brèche le principe de souveraineté et l’interdiction d’ingérence qui en découle et, partant, d’étayer par le droit international la volonté d’États et d’alliances militaires de mener des guerres d’agression sous couvert de motifs humanitaires. C’est de cette façon que l’OTAN a justifié sa décision de bombarder, en 1999, ce qui restait de la Yougoslavie, en violation du droit international.

L’exemple de l’UE

Si l’on considère un accord très comparable signé presque jour pour jour cinq ans auparavant (24 septembre 2003) entre l’UE et l’ONU, on ne peut que craindre la prolifération future d’interventions menées par l’OTAN sous son commandement propre mais avec un mandat de l’ONU. L’accord signé à l’époque commençait de façon quasi identique:
« Le Secrétaire général des Nations unies et la présidence du Conseil de l’UE se félicitent de la coopération durable entre les Nations unies et l’UE dans le domaine de la gestion civile et militaire des crises, notamment dans les Balkans et en Afrique. »[7]
L’accord signé avec l’OTAN évoquait la création d’ « un cadre pour une consultation et une coopération élargie entre [les] secrétariats respectifs » en vue de « développer davantage la coopération entre [les deux] organisations sur des questions d’intérêt commun, en matière de communication et de partage de l’information (tout en ne se limitant pas à cela), y compris sur les questions relatives à la protection des populations civiles, au renforcement des capacités, à la formation et aux entraînements, aux enseignements tirés de l’expérience, à la planification et au soutien en cas d’urgence, et à la coordination et au soutien opérationnels. » Là aussi, le document signé cinq ans auparavant avec l’UE renferme des formulations quasi identiques. À cet égard, il importe de souligner le fait – préoccupant par rapport à l’OTAN – que les termes de cet accord ne sont nullement restés lettre morte. Suite à sa signature, l’UE et l’ONU ont mis sur pied un comité de pilotage, auteur d’un « programme de mise en œuvre » dans lequel l’UE vante ses compétences en matière de règlement des conflits et avance des propositions portant sur la manière dont elle pourrait intervenir dans le cadre d’opérations de l’ONU, voire compléter l’action de celle-ci ou s’y substituer. L’UE a cependant également précisé, durant ce processus, qu’elle n’entendait plus à l’avenir placer des soldats sous commandement de l’ONU, mais tout au plus intervenir elle-même – si une telle intervention répondait à ses intérêts.[8]
Cette étroite convergence entre UE et ONU a trouvé sa première traduction deux ans plus tard environ, lorsque l’UE a décidé de déployer, parallèlement à la MONUC, sa propre force d’intervention afin d’assurer le bon déroulement des élections en République démocratique du Congo. L’intervention au Tchad et en République centrafricaine, mandatée par les Nations unies, a elle aussi été convenue de façon passablement informelle entre les deux organisations. Depuis lors, certaines voix prétendent à Bruxelles qu’en ce qui concerne l’Afrique en tout cas, on peut rapidement obtenir un mandat d’intervention des Nations unies pour peu qu’on en manifeste la volonté. Si cette certitude semble quelque peu présomptueuse, elle n’en témoigne pas moins clairement de la suffisance dont l’UE fait désormais elle aussi montre vis-à-vis de l’ONU. Et il semble à tout le moins exact que l’UE peut à tout moment obtenir du Secrétariat général de l’Organisation une « invitation officielle » ou une « demande officielle » pour mener les opérations militaires qu’elle souhaite mener. En tout cas, c’est incontestablement ainsi qu’a été présenté, en novembre/décembre 2008, un courrier de Ban Ki-moon au ministre belge des affaires étrangères, courrier dont les partisans d’une nouvelle intervention de l’UE en République démocratique du Congo ont fait un argument de poids.

Le couvert de l’ONU, la marionnette Ban Ki-moon

Les deux déclarations ont par ailleurs pour point commun de faire fi de la réalité ou de présenter une vision embellie des coopérations antérieures. L’accord avec l’UE saluait l’engagement de cette dernière dans les Balkans et au Congo, celui avec l’OTAN les missions de l’Alliance en Bosnie et en Afghanistan. Autant de cas où l’ONU ne s’est pas précisément couverte de gloire, en déléguant ses pouvoirs à l’UE et à l’OTAN ou en légitimant a posteriori des guerres d’agression. Autant de cas où tant l’UE en Afrique et dans les Balkans que l’OTAN dans les Balkans et en Afghanistan sont parvenues à approfondir leur constitution en alliances basées sur l’intervention militaire. Or, dans le cas bosniaque, mais aussi partout en Afrique, on peut affirmer que l’UE et les États membres de l’OTAN ont affaibli les Nations unies en n’apportant qu’un soutien marginal aux missions menées par ces dernières et en se contentant d’attendre d’être appelées pour éteindre le brasier.
L’accord récemment conclu avec l’OTAN menace d’entériner un peu plus une coopération bien rôdée entre l’OTAN, l’UE et l’ONU: pendant que l’ONU conduit elle-même des opérations de longue durée dans des régions sans intérêt géostratégique, l’OTAN intervient – avec ou sans mandat de l’ONU – là où elle entend faire valoir ses intérêts propres. Ensuite, l’UE, mandatée par l’ONU, se charge de la stabilisation et déploie à l’occasion en Afrique des missions comparables à des manœuvres pour renforcer ses capacités en la matière. Pour toutes ces raisons, nombre de collaborateurs et de défenseurs de l’ONU réclament aujourd’hui un débat poussé et sans préjugé sur ce document toujours confidentiel et critiquent vertement Ban Ki-moon. À très juste titre : par cet accord, il porte atteinte à la neutralité et, partant, à la légitimité des Nations unies et est de plus en plus perçu comme une marionnette des États-Unis. Comme l’affirmait dès 2006 le ministère fédéral de la défense dans son projet de livre blanc sur l’armée fédérale, les Nations unies semblent à vrai dire ne plus avoir pour seule justification singulière que de légitimer en droit international le recours jugé nécessaire à la force armée.[9]

Remarques:

[1] UN and NATO sign Secret Military Cooperation Agreement in Violation of UN Charter – Ban Ki-moon acting beyond his powers [L’ONU et l’OTAN signent un accord secret de coopération militaire, en violation de la Charte des Nations unies – Ban Ki-moon outrepasse ses pouvoirs], RIA Novosti (9.10.2008)

[2] „Russia stunned by UN-NATO cooperation deal“ [La Russie choquée par l’accord de coopération ONU-OTAN], RIA Novosti (9.10.2008)

[3] Alfred de Zayas: Verstoss gegen Uno-Charta [Violation de la Charte des Nations unies], in: Zeit-Fragen Nr. 48.

[4] Karl Müller: Geheimabkommen zwischen Uno und Nato kann nicht im Sinne der Weltgemeinschaft sein [L’accord secret entre ONU et OTAN ne peut servir les intérêts de la Communauté internationale], in: Zeit-Fragen Nr. 48.

[5] TFF PeaceTips du 3.12.2008: Breaking News… Secret UN-NATO Cooperation Declaration [Dernières nouvelles… Déclaration secrète de coopération ONU-OTAN]

[6] Jürgen Wagner: Change We Can´t – Barack Obama, der Siegeszug der „War-Democrats“ und die Re-Vitalisierung der NATO [Change We Can’t – Barack Obama ou la marche triomphale des « War-Democrats » et la relance de l’OTAN], in: AUSDRUCK (décembre 2008)

[7] Conseil de l’Union européenne: Joint Declaration on UN-EU Co-operation in Crisis Management [Déclaration commune relative à la coopération ONU-UE sur la gestion des crises] (CL03-310EN)

[8] Christoph Marischka: Battlegroups mit UN-Mandat – Wie die Vereinten Nationen die europäische Rekolonialisierung Afrikas unterstützen [Groupes de combat sous mandat de l’ONU – Comment les Nations unies soutiennent la recolonisation de l’Afrique par l’Europe], Studien zur Militarisierung Europas [Études sur la militarisation de l’Europe] 31/2007

[9] Martin Kutscha: Abschied von der Friedensstaatlichkeit? – Stellungnahme zum Entwurf eines „Weißbuchs zur Sicherheitspolitik Deutschlands und zur Zukunft der Bundeswehr“ vom 28.April 2006 [L’État a-t-il renoncé à assurer la paix ? Avis sur le projet de livre blanc du 28 avril 2006 relatif à la politique de sécurité de l’Allemagne et à l’avenir de l’armée fédérale]