Quelle: Informationsstelle Militarisierung (IMI) e.V. - www.imi-online.de

in: IMI/DFG-VK: Kein Frieden mit der NATO

L’OTAN entre 1949 et 1991 : bref bilan d’une histoire belliqueuse

Joachim Guilliard (03.01.2009)

L’OTAN se définit elle-même comme une alliance défensive. Or, à sa création voici 60 ans, elle ne se désignait aucun ennemi. Dans une étude datée du 6 janvier 1945, l’ « État-major conjoint des services de renseignement américains » lui-même estimait que l’Union soviétique (URSS) n’affichait ni la capacité, ni la volonté d’une confrontation avec les États-Unis et ses alliés, qu’elle était contrainte de se concentrer sur la reconstruction et la protection de sa zone d’influence et qu’elle ferait tout pour éviter de nouveaux conflits internationaux dans l’environnement de l’après-guerre.[1]

Les États-Unis et leurs alliés avaient toutefois conscience du fait que, s’ils ne représentaient qu’une petite partie de la population mondiale, ils disposaient de la grande majorité des richesses de la planète. Il s’agissait dès lors de « concevoir un modèle de relations qui nous permette de préserver cette situation de déséquilibre », comme l’exprimait George F. Kennan, théoricien de la politique d’endiguement de l’Union soviétique , dans la « Policy Planning Study 23 » publié par le Département d’État américain.[2]

Roll Back

Les deux Guerres mondiales désastreuses qu’avaient menées les unes contre les autres les puissances impérialistes avaient sensiblement réduit la part du monde sur laquelle elles exerçaient un contrôle direct. L’objectif commun à tous les pays capitalistes était par conséquent de rétablir leur contrôle sur les territoires qui s’étaient détournés du capitalisme après la Première Guerre mondiale (pour la Russie) ou la Deuxième (pour l’Europe centrale et orientale et la Chine). Pour ce faire, il leur fallait désormais tirer sur la même corde. Forts de leur hégémonie incontestable, les États-Unis furent en mesure de constituer autour d’eux une alliance transatlantique garante d’une coopération étroite entre États impérialistes et capable de contrer toute velléité de compétition entre ces États. Pour les États-Unis, l’OTAN constituait l’instrument apte à asseoir leur hégémonie sur le camp occidental ; pour les puissances européennes affaiblies, la soumission volontaire leur garantissait le soutien nécessaire pour défendre leurs intérêts vis-à-vis du bloc oriental et des pays africains et asiatiques en lutte pour leur indépendance.

Avant même la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis avaient élaboré des plans ambitieux destinés à s’assurer le contrôle stratégique de l’économie mondiale et développé pour ce faire un concept baptisé « Grand Area Planning » (planification du grand espace). Y étaient mentionnées les régions du monde qui devaient être « ouvertes » – aux investissements et à la mainmise sur les ressources – et les modalités d’organisation des institutions financières et de la planification financière.

L’Union soviétique et la Chine formaient les principaux obstacles à ces projets. Il s’agissait dès lors de concentrer, par le biais d’une politique baptisée « Roll Back », l’ensemble des efforts politiques et militaires sur l’endiguement d’un « communisme agressif ». Ces efforts débutèrent au cœur du monde occidental, avec la lutte militaire contre le front populaire de gauche en Grèce et l’élaboration de projets de putsch destinés à empêcher la prise du pouvoir par les partis communistes – en France et en Italie, par exemple. La sauvegarde de l’ordre capitaliste dominant à l’intérieur de ses frontières allait également devenir l’une des principales missions de l’OTAN.[3] À partir de juin 1950, soit neuf mois après la création de l’OTAN, tous les États membres de l’époque – à l’exception de l’Islande et du Portugal – combattirent en Corée aux côtés des États-Unis.

Des plans de guerre nucléaire

Deux semaines seulement après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’État-major des forces armées américaines avait adopté un mémorandum, dans lequel il demandait de n’attendre en aucun cas une frappe de l’URSS et de frapper les premiers.[4] Tout au long de la Guerre froide, ce principe demeura le leitmotiv de tous les plans militaires élaborés contre l’URSS et la base de toutes les stratégies américaines, base reprise peu ou prou par l’OTAN. Dans les années qui suivirent, cette recherche de la confrontation fut renforcée par des plans d’attaque brutaux baptisés « Cible nucléaire : Union soviétique » (directive JIC 329, 1945), « Broiler » (1947), « Halfmoon » (1948) ou encore « Dropshot » (1949). Tous prévoyaient la destruction par bombardement nucléaire de centres soviétiques dont le nombre croissait année après année.[5]

En 1949, après le premier essai nucléaire soviétique, les États-Unis imaginèrent la stratégie de « représailles massives », en vertu de laquelle même une agression conventionnelle restreinte sur un membre de l’Alliance devait entraîner une frappe nucléaire. Cette stratégie fut reprise par l’OTAN en 1952. Après que l’Union soviétique eut rétabli, en 1954, l’équilibre stratégique en se dotant de ses premiers missiles nucléaires intercontinentaux, les États-Unis débutèrent l’installation en Europe de missiles à courte et moyenne portée équipés de têtes nucléaires et capables d’atteindre le territoire du Bloc de l’Est. Réarmée, la RFA adhéra elle aussi à l’OTAN. En réaction, l’Union soviétique fonda, en 1955, l’alliance militaire connue sous le nom de Pacte de Varsovie et équipa elle aussi d’armes nucléaires ses troupes stationnées en Europe orientale. En 1958, l’OTAN prit la décision d’intégrer les armes nucléaires américaines dans ses stratégies militaires, tout en laissant aux États-Unis le pouvoir de décider de leur utilisation.

Le quasi-rétablissement de l’équilibre nucléaire par l’URSS rendit caduque une stratégie de « représailles massives » qui risquait de transformer rapidement un conflit localisé en une guerre d’anéantissement total. Qui plus est, cette stratégie n’aurait guère été politiquement défendable plus longtemps face aux répercussions à long terme d’un conflit nucléaire. C’est pourquoi , en 1967, la stratégie des « représailles massives » céda la place à une autre. Baptisée « Flexible Response » (réponse flexible), cette nouvelle stratégie prévoyait l’engagement graduel d’armes conventionnelles, d’armes nucléaires tactiques et de missiles nucléaires intercontinentaux, en vue de pouvoir circonscrire géographiquement une guerre contre les pays du Pacte de Varsovie ou de restreindre le choix des armes engagées. Maintenue – moyennant quelques modifications en ce qui concerne les armes nucléaires – jusqu’en 1991, cette stratégie prévoyait elle aussi l’option de la première frappe nucléaire.

Contrairement à la propagande répandue d’une menace soviétique, les États de l’OTAN ont toujours bénéficié d’une large supériorité militaire par rapport à ceux du Pacte de Varsovie et joui d’une avance considérable, à tout le moins qualitative, dans tous les types d’armements.[6] Et si la capacité de riposte soviétique est demeurée incontestée, en dépit des efforts d’armement déployés, la situation de pat nucléaire a dans une large mesure vidé de toute utilité politique l’arsenal nucléaire gigantesque constitué par les deux camps. Le recours à de telles armes dans un conflit conventionnel limité était en effet une éventualité à ce point disproportionnée et risquée qu’elle ne pouvait constituer une menace crédible. Ces armes ne pouvaient donc guère servir les intérêts des uns et des autres en matière de politique étrangère.

À partir des années 1970, les États-Unis, forts de ce constat et encouragés par le développement de nouveaux missiles à moyenne portée capables de frapper avec précision des objectifs militaires et des postes de commandement, intensifièrent leurs efforts en vue de refaire de l’option nucléaire une perspective réaliste susceptible de mener à la victoire. Se fondant sur ces systèmes d’armes, ils passèrent à une stratégie visant à « décapiter » l’Union soviétique par la destruction de sa direction politique et militaire. En 1980, le président américain Jimmy Carter signa la Presidential Directive 59, qui énonçait une « stratégie de l’équilibre » destinée à pouvoir remporter un conflit nucléaire en évitant l’anéantissement global.[7] En décembre de la même année, Colin S. Gray, conseiller au Pentagone, fit paraître un article intitulé « Victory is possible » (la victoire est possible), dans lequel il affirmait qu’il fallait envisager l’option d’une attaque nucléaire menée par surprise par les États-Unis en vue d’éliminer les cercles de direction politiques et militaires soviétiques et allait jusqu’à qualifier de risque supportable la perspective de 20 millions de victimes aux États-Unis. Le président Ronald Reagan entérina officiellement cette stratégie et fit de son concepteur son principal conseiller militaire.[8]

Au cœur de cette stratégie offensive perfectionnée se trouvaient les missiles Pershing II et autres missiles de croisière, installés en Europe occidentale à la suite de la « double décision » prise par l’OTAN en décembre 1979. Si, officiellement, les 108 Pershing II et 464 missiles de croisière terrestres étaient censés répondre à la menace posée par les nouveaux missiles SS-20 soviétiques, ils n’en faisaient pas moins partie – comme le confirma Colin S. Gray dans le magazine Air Force en 1982 – de la stratégie de décapitation évoquée plus haut.[9]

Air-Land-Battle et Follow-On-Forces-Attack

Parallèlement aux plans de guerre nucléaire, les États membres de l’OTAN réorientèrent également leur conception de la guerre conventionnelle, délaissant le principe de la « défense avancée » le long des frontières mêmes du Pacte de Varsovie pour lui préférer celui d’opérations offensives menées loin en territoire ennemi. Ce principe fut énoncé pour la première fois en 1982 dans la doctrine « Air-Land-Battle » de l’armée américaine et formulé plus clairement encore dans des plans à long terme tels que « Air-Land Battle 2000 ». Ces deux documents furent également entérinés par l’armée fédérale allemande.[10] Au niveau de l’OTAN, le comité de défense de l’Alliance adopta, en 1984, un concept quasi identique : baptisé « Follow-On-Forces-Attack », il prévoyait des offensives menées jusqu’à 500 km à l’intérieur du bloc soviétique.[11]

Ces plans militaires étaient étroitement liés au concept d’ « escalade horizontale », qui faisait partie intégrante de la « réponse flexible » et prévoyait de répondre à une intervention politique ou militaire de l’Union soviétique dans un conflit local – dans le Golfe persique par exemple – par des attaques visant des points plus vulnérables du Pacte de Varsovie.[12] Comme l’affirmaient en 1982 Meinhard Glanz, alors inspecteur des forces armées allemandes, et son collègue américain Edward C. Meyer dans le concept « Air-Land Battle 2000 » élaboré par leurs soins, l’enjeu n’était pas seulement le conflit avec l’Union soviétique, mais aussi le contrôle du reste du monde. « Les pays émergents du tiers monde [concourent à accroître] le déséquilibre des forces. Ces nations pourraient s’allier à des États ennemis et recourir au terrorisme, au chantage ou à des conflits circonscrits, pour obtenir une part équitable des ressources. »[13] C’est à cela aussi que servait le réseau de bases militaires créées dans le cadre de l’OTAN et dont le centre de gravité se situe en RFA. Dès le départ, il servit également de base pour les guerres menées contre les peuples africains et asiatiques qui se battaient pour leur indépendance. L’OTAN apporta par ailleurs un soutien actif aux États-Unis dans les guerres de Corée et du Vietnam, ainsi qu’au Portugal, en Angola et au Zimbabwe.

Au vu de ce qui précède, la politique ouvertement offensive déployée par l’OTAN depuis 1990 ne constitue aucunement un changement de cap pour une organisation dont on prétend souvent qu’elle est passée du statut d’ « alliance défensive » à celui d’ « alliance offensive ». Depuis l’effondrement de l’URSS, les États membres de l’OTAN ont tout simplement les mains libres pour conduire une politique suivie depuis la fondation de l’Organisation.

Remarques:

[1] Memorandum of the Joint Intelligence Staff, Capabilities and Intensions of the USSR in the Post-War Period, JIS 80/2, January 6, 1945, National Archives, Washington D.C. (Cité d’après Lühr Henken “Die NATO im Kalten Krieg – Verteidigungs- oder Angriffsbündnis“, Beitrag auf dem Kasseler Friedensratschlag [L’OTAN dans la Guerre froide – alliance défensive ou offensive, contribution au Conseil de paix de Kassel], 2.12.2008)

[2] George F. Kennan, „Review of Current Trends in U.S. Foreign Policy“, Policy Planning Staff, PPS No. 23, in: Foreign Relations of the United States, 1948, Vol. I v. 24.2.1948, pp. 509-529

[3] C’est à cette fin que fut notamment créé le réseau Gladio, organisation paramilitaire secrète de l’OTAN, chargé de mener des opérations de guérilla en cas de prise du pouvoir par les communistes en Europe occidentale. Certains éléments de cette organisation active entre 1950 et 1990 se sont livrés à des actes de terrorisme systématiques et ciblés dans divers pays d’Europe occidentale, avec le soutien des organes de l’État. Cf. Daniele Ganser: NATO’s Secret Armies: Operation Gladio and Terrorism in Western Europe, London 2005

[4] Joint Chiefs of Staff, Basis for the Formulation of a U.S. Military Policy, JCS 1492/2, September 9, 1945, Printed in: U.S. Department of State, Foreign Relations of the United States 1946, vol.I, Washington D.C.

[5] Cf. Heinrich Hannover, Befreiung auf amerikanisch [Libération à l’américaine], Ossietzky, tirage à part mars 2004 (source : Jürgen Bruhn, Der kalte Krieg oder: Die Totrüstung der Sowjetunion [La Guerre froide ou l’armement funeste de l’Union soviétique], Gießen)

[6] Cf. Lühr Henken op.cit.

[7] Matthew M. Oyos “Jimmy Carter and SALT II: The Path to Frustration” American Diplomacy, 12/1996

[8] Colin S. Gray u. Keith Payne, “Victory is Possible”, Foreign Policy, été 1980, pp. 14-27

[9] Till Bastian (Éd.): Ärzte gegen den Atomkrieg. Wir werden Euch nicht helfen können [Les médecins face à la guerre nucléaire. Nous ne pourrons pas vous aider], Pabel-Moewig Verlag Kg, 1987, p. 9 (s. IPPNW-Chronik 1982)

[10] Bjørn Møller, „Wider die Offensive – Vorschläge für eine defensive Sicherheitsstruktur in Europa“ [Contre l’offensive – propositions relatives à une structure de sécurité défensive en Europe], W&F, 3-98
Ludwig Weigl, Strategische Einsatzplanungen der NATO, Dissertation, Universität der Bundeswehr München [Plans d’intervention stratégique de l’OTAN, thèse de doctorat, université de l’armée fédérale, Munich], septembre 2005

[11] , Bernard W. Rogers, „Greater Flexibility For NATO’s Flexible Response“, Strategic Review, XI (Spring 1983), pp. 11-19

[12] Wilhelm Bittorf, „Der Schlieffen-Plan des Pentagon“ [Le plan Schlieffen du Pentagone], Gewerkschaftliche Monatshefte, 9/83

[13] Clemens Ronnefeldt, „Wieder einmal Blut für Öl“ [Quand le pétrole fait à nouveau couler le sang], Friedensforum 1/2002

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